Souvent montagne varie ...
Me voici enfin en mesure de prouver photographiquement ce que je soutenais depuis longtemps aux visiteurs auxquels je faisais admirer le distant profil des Pyrénées, à savoir que nous n'en percevons qu'une image. La lumière est le jouet de l'atmosphère, et les variations de températures aux différentes altitudes de la masse d'air induisent un trajet toujours plus ou moins "tordu" aux rayons qui la traverse. La réfraction atmosphérique est à l'œuvre, elle abhorre les lignes droites et ne peut souffrir de voir les photons adopter une trajectoire rectiligne. Baignant dans ce fluide atmosphérique où l'on a trop facilement tendance à croire que l'essentiel est clairement visible, on ne soupçonne pas à quel point l'horizon nous ment. Ces familières crêtes pyrénéenne, que je retrouve soir après soir à la faveur de ces journées merveilleusement limpides de décembre, eh bien ces crêtes éloignées ne sont jamais exactement à la même hauteur apparente.
L'effet, quoique faible, est néanmoins parfaitement visible avec une simple paire de jumelles, et pour le photographier un modeste téléobjectif de 200 mm suffit. Encore faut-il que dans des conditions de transparence similaires je puisse saisir la belle ampleur que peut afficher ce phénomène de mirage du jour au lendemain. S'y ajoute la pertinence d'un repère plus proche qui puisse faire office de référence. En l'occurrence, c'est le château d'eau de Castillon-Debats, distant d'une trentaine de kilomètres, qui est dévolu à ce rôle. Et la crête distante et néanmoins choyée est celle du Pic d'Orhy, premier sommet de plus de deux mille mètres que rencontre l'explorateur qui cheminerait hardiment de l'Atlantique vers la Méditerranée le long de la frontière pyrénéenne. Et en voici maintenant deux photos prises à peu de jours d'intervalle :
Voyez, l'effet est saisissant : sur le cliché de droite, la montagne s'est enflée, noyant complètement le sommet du château d'eau. Et ce n'est pas le signe d'une crise tectonique sans précédent, mais le simple jeu de l'air qui fléchi la lumière, allié à la courbure de la Terre et à la modification du gradient de température dans les basses couches (irruption de l'air froid, tandis qu'en altitude régnait encore une relative tiédeur). Cette hausse du Pic d'Orhy est l'ébauche d'un mirage supérieur, qui peut parfois prendre une tournure vraiment spectaculaire. On comprend dès lors les limites que le phénomène imposait aux géographes chargés de dresser des cartes et de mesurer l'altitude des sommets par la méthode de la triangulation. Des abaques permettaient de prendre en compte la valeur moyenne de cette réfraction atmosphérique en fonction du site (c'est-à-dire la hauteur) de la visée, mais il était naturellement hors de question d'employer des éléments aussi distants et proches de l'horizon que dans le cas présent.
Cet effet joue en permanence autour de nous, et pour que cesse ce mensonge des lointains il faudrait se débarrasser de l'atmosphère. Point de distorsion de l'horizon à la surface de la Lune ! Mais sur Terre, on ne saurait y échapper. L'effet joue donc aussi sur la portée d'un phare côtier, en permettant aimablement aux marins, lorsque les conditions sont réunies, d'apercevoir tel ou tel phare bien au-delà de la limite que postule le calcul basé sur la seule rotondité du globe. Fascinant, n'est-ce pas ?
3 commentaires:
C'est tout à fait passionnant et en même temps, rien de plus banal que ces fluctuations : il suffit d'observer une lune pleine montant dans le ciel depuis l'horizon et voilà que son diamètre apparent semble se restreindre, sa couleur fondre et sa brillance s'accroître, de même pour l'astre majeur. Mais ces éléments sont mobiles et paraissent moins "fiables" qu'un sommet qui ne se balade pas dans l'espace. Qu'une montagne se redresse ou s'affaisse, voilà une étrangeté de la nature. Et si c'était la logique qui mentait, la rationalité qui s'avérait trompeuse. Toute représentation ne serait-elle pas "un peu" fallacieuse ?
En tous cas, merci pour cette belle expérience optique.
Démocrite
Merci Démocrite pour ton pertinent commentaire.
De cette fluctuation de la hauteur du Pic d'Orhy, de cette mise en évidence que ce qu'il nous est donné d'observer n'est qu'une image, je conçois un vertigineux vacillement. Tout n'est que représentation, et l'abime qui nous sépare de l'horizon n'est rien en regard de celui qui nous sépare du réel. Le voile d'Isis est là, il tord facétieusement la lumière en respectant avec rigueur les lois de l'optique. Mais l'observation fine, l'attachement au subtil, voilà qui nous permet d'apercevoir un fragment de cette étoffe, à défaut d'en soulever le moindre coin ...
Avé Pierre-Paul,
excellente observation. Cette mise en évidence est merveilleusement pédagogique. Encore une photo que j'aurais aimé faire !
A bientôt. kénavo !
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